Une vigne dans la vallée du Landion, une semaine après le gel: les parties «tabac» sont nettement visibles. La Côte des Bar a été durement touchée par plusieurs nuits de gel, principalement lors de la nuit du dimanche 21 au lundi 22 avril. © Photo Armand PATOU Est-Eclair

Une semaine après la nuit de gel du dimanche 21 au lundi 22 avril, c’est l’heure d’un premier bilan pour le vignoble aubois. Si les dégâts sont très variables d’un secteur à l’autre, on sait que la vallée du Landion a été quasiment nettoyée et que Montgueux a été largement épargné.

Cette année, il n’est pas impossible qu’on se rapproche de 2016 en termes de dégâts de gel » , estime Basile Pauthier. « La Côte des Bar est de loin la région la plus touchée en Champagne » , continue l’expert climat du Comité champagne. Bien sûr, comme toujours, les dégâts sont très variables d’une commune à l’autre. « Il y a des communes où les dégâts sont proches de 100 % » , assure-t-il. Mais, à l’intérieur même des communes, les dégâts peuvent également être extrêmement variables : « Tout dépend de l’orientation des coteaux, de la présence d’une forêt » , énumère Basile Pauthier. Il n’y a guère que Montgueux, convient de son côté Alain Romelot, où il n’y a « rien du tout » . Rien du tout, ou presque, ajoute le vigneron montgueuillat : les seuls vrais dégâts constatés sur le vignoble qui surplombe l’agglomération troyenne sont sur « des jeunes plants, des entreplantations » , qui ont grillé parce qu’ils étaient confinés dans des manchons de protection qui ont intensifié le froid.

« La Vallée du Landion a morflé »

Une des zones de la Côte des Bar particulièrement touchée, c’est la vallée du Landion. Dans des communes comme Bergères, Urville, Spoy, Dolancourt ou Trannes, il y a « des dégâts qui oscillent entre 80 et 100 % » , résume Basile Pauthier. Sabine Billette, à Urville, confirme : « La vallée du Landion a énormément morflé. » Les vignes du domaine, réparties un peu partout sur la commune, ont toutes été touchées par le gel de la nuit du dimanche au lundi.

Des vignes marron dès 09:30

C’est d’ailleurs sur cette nuit-là que les principaux dégâts ont été constatés : la faute à une averse qui a touché presque toute la Côte des Bar juste avant la nuit. Ce dont est certaine Sabine Billette, c’est que les secteurs touchés « étaient déjà marron, le matin, à 9 h 30 » , alors qu’il n’est pas rare de devoir attendre plus longtemps avant que les dégâts apparaissent. « On est sur un des secteurs les plus hauts de l’Aube (avec Champignol-lez-Mondeville, NDLR), et on est sur des gelées sur lesquelles on ne peut pas faire grand-chose » , regrette la vigneronne d’Urville. Le problème, ajoute-t-elle, « c’est qu’il n’y a pas d’hiver et dès qu’il y a des températures un peu élevées, la végétation démarre » . Cette année, selon ce qu’en disait Basile Pauthier, lundi 22 avril, elle avait « dix à douze jours d’avance » .
Mais la vallée du Landion n’est pas le seul secteur frappé par ce gel de printemps. Les Riceys, par exemple, ont été bien touchés également. Un vigneron riceton, touché de 50 à 100 % en fonction des secteurs, remarque que, même s’il a des vignes « gélives » , et qu’il se « méfie toujours » , il n’a « pas été aussi touché depuis vingt ans » . L’intensité des dégâts est cependant « très variable » , note-t-il, avant de se demander si la gravité des dégâts de la nuit de dimanche 21 à lundi 22 avril peut être liée « à l’intensité de l’averse » qui a douché le vignoble dimanche en début de soirée. Dans une contrée sur laquelle il a testé six modalités préventives différentes, « tout est cramé pareil… » Dans certains secteurs moins touchés, les vignes « ont les feuilles toutes rouges » : « Je ne parierai pas ma maison dessus » , résume-t-il avec humour.

Gare au mildiou

Basile Pauthier insiste sur « la variabilité très importante dans les dégâts » : « À Essoyes, par exemple, il y a des parcelles qui sont touchées à 5 % et le GIE (le vignoble expérimental, NDLR) est touché entre 70 et 100 % » . Ce qui peut rendre les comptages précis difficiles, c’est qu’il peut aussi y avoir des vignes gelées, avec « les feuilles cramées » mais dont « les apex (l’extrémité du rameau, NDLR) sont encore capables de repartir » .
Il faut également prendre en compte la sensibilité des vignes qui ont gelé, même partiellement, aux agressions sanitaires. En 2016, 2017 ou 2021, les dernières années avec d’importants dégâts de gel en Champagne, une bonne partie de la perte de récolte constatée à la vendange était due au mildiou. En 2016, par exemple, au moins la moitié de la perte totale de récolte à l’échelle du vignoble était due au champignon cryptogamique, dont les attaques avaient été particulièrement intenses. « Là, il faut que les vignerons reprennent leur protection contre le mildiou comme si rien ne s’était passé » , insiste Basile Pauthier. Le mildiou est déjà actif dans le vignoble. « On a un bon pied de cuve » , confirme le technicien du Comité champagne.

En complément…

La Réserve individuelle : une assurance efficace mais pas sans faille
Par Yann TOURBE – Est-Eclair

“En Champagne, il y a 3 méthodes pour lutter contre les gels de printemps.

  1. La première, c’est la prévention : taille aussi tardive que possible (mais ce n’est, justement, pas toujours possible en termes de coûts ou de disponibilité de main-d’œuvre) ou élicitation, pour donner à la vigne de meilleures défenses naturelles, avec des UV, comme le fait Michel Jacob à Avirey-Lingey, ou avec des préparations, qu’elles soient naturelles (tisanes) ou non (les firmes phytopharmaceutiques annoncent régulièrement des nouveaux produits).
  2. La deuxième, c’est la protection. Soit avec des éoliennes, qu’elles soient doublées ou pas d’une source de chaleur, soit avec différents types de fils chauffants (mais l’avance de la végétation, cette année, était telle que les apex étaient à plus de huit centimètres des fils, ce qui en limitait l’efficacité), soit avec de l’eau (la formation d’une gangue de glace autour des bourgeons provoque un échange thermique qui les maintient autour de 0 ºC), soit avec des bougies ou d’autres systèmes de chauffage (au bois, au fioul ou à la paraffine). D’autres moyens existent. Certains, comme les hélicoptères (qui créent un vortex et ramènent l’air moins froid en hauteur vers le sol), ne sont plus du tout utilisés.
  3. Mais la Champagne dispose d’une troisième méthode de lutte. Plus exactement, il s’agit d’une assurance : la Réserve individuelle, qui permet à chaque déclarant de récolte de mettre de côté des vins de réserve. Depuis la vendange 2023, chaque déclarant de récolte est autorisé à stocker ainsi l’équivalent de 10 tonnes de raisin par hectare. Avant cela, c’était 8,5 tonnes. C’est un volume théorique : avant la vendange, le volume moyen de réserves disponible était d’environ 6,5 tonnes par hectare. Ce système propre à la Champagne permet de lisser la production, essentiellement en faveur des bruts sans année. « Heureusement qu’on a la RI », convient Sabine Billette. La vigneronne d’Urville ajoute en riant (jaune) que, dans la Côte des Bar, « on sait l’utiliser ». Il est vrai que, sur la décennie écoulée, 2016, 2017 et 2021 ont été des années de gel et de mildiou, et 2019 a été une année de grillure estivale particulièrement intense. À chaque fois, à peine remplie, la réserve était déjà vidée.”