Plus précoces et prometteuses que l’année dernière, les vendanges ont commencé dans l’Aube, l’occasion d’aller y jeter un œil et de se mettre à la place de ceux sans qui le champagne n’existerait pas.
Il est 7h et, dans les camions qui les emmènent dans les vignes, les vendangeurs finissent leur nuit ou commentent coupures et courbatures, les yeux un peu gonflés par un repos de courte durée. Alors qu’Ambre enchaîne son troisième jour – le plus difficile selon un consensus entre vignerons et vendangeurs – elle affirme, amusée : « Il y en a qui sont encore tout frais, ils sont arrivés hier » . Son histoire avec la famille Beaufort a commencé il y a huit ans, et ce n’est pas le mal de dos qui l’arrêtera.
Arrivés au pied des vignes qui bordent la forêt de Polisy, les vendangeurs s’équipent de seaux et de sécateurs à la lumière du soleil qui s’élève. On choisit son binôme, on se répartit sur les lignes et on coupe. « Je veux bien retourner dormir et revenir juste pour la pause » , jette Claire, non sans un sourire, mais pour qui la reprise est un peu corsée ce matin. Il faudra cependant tenir bon pour atteindre la moyenne : 8 000 à 10 000 kg de raisin récoltés par jour.
La très attendue « grosse pause » a généralement lieu à 11 h, mais aujourd’hui, les vendangeurs sont chanceux et le casse-croûte arrive à 10 h. Fromages, pain, charcuterie et pour les boissons, grenadine, café, thé ou champagne, tout est réuni pour remplir les ventres déjà vidés par l’effort. Réol, un poil chauvin, rappelle l’essentiel alors que l’équipe surplombe la vallée. « Admirez le plus beau village du monde : Polisy ! » Mais déjà, il faut reprendre les sécateurs jusqu’à 12h30.
À peine de retour à la ferme, les deux frères, Réol et Constant Beaufort, ainsi que quelques vendangeurs, vident les caisses dans le pressoir. Car, afin de conserver la qualité du raisin, ils n’attendent jamais plus de trois heures entre cueillette et pressurage. Le reste de l’équipe nettoie caisses, seaux, puis se dirige vers la salle à manger. Élodie Beaufort a concocté un pot-au-feu et une tarte aux mirabelles, des mets qui sans aucun doute redonneront des forces aux vendangeurs attablés avec la famille. « Hier, on savait qu’on mangeait une tartiflette le soir, c’était la motivation de tout le monde, la nourriture est toujours très bonne » , commente Lucie.
14h30, les vendangeurs remontent dans un camion de pompiers réhabilité pour rejoindre des vignes à Landreville. Cette année, la moyenne d’âge est de 22 ans contre 30 l’an dernier, qui s’explique par le nombre d’étudiants encore en congés d’été et qui quitteront bientôt les chemins blancs pour ceux de l’université. « Le fait que l’équipe soit jeune, c’est vraiment un plus. Hier soir, on était tous autour de la table pour jouer », confesse Agathe, venue avec ses camarades d’école d’ingénieur. Beaucoup de novices aussi, mais ce n’est pas pour déplaire à Clémence Beaufort qui apprécie ces nouvelles rencontres et juge les débutants plutôt efficaces cette année. « C’est une période de l’année qu’on attend, il y a aussi des vendangeurs qu’on aime revoir » , ajoute-t-elle.
Une relation presque familiale avec Ambre et Laurie – chacune à leurs huitièmes vendanges chez les Beaufort – qui ont vu grandir les enfants mais ont aussi évolué avec eux. « Réol a été un des premiers à me féliciter pour mon diplôme d’architecture, il était trop fier » , rapporte Ambre. Laurie, elle, évoque le sentiment d’un retour aux sources, tandis qu’elle réserve toujours la fin de son été aux vendanges.
Derniers coups de sécateurs de la journée à Polisy, vers 17h30.
Les troupes commencent à fatiguer. Réol use de ruses pour ne pas que la déprime gagne les binômes. Ambre se souvient d’une année de vendanges particulièrement longues et de la promesse d’une bouteille de champagne pour les vendangeurs les plus rapides. L’objectif : créer une petite « guéguerre » et donner du baume au cœur.
À 18h, on range seaux, sécateurs et caisses remplies de raisins, puis on reprend le chemin de la ferme pour nettoyer le tout, presser à nouveau, et bien sûr, profiter d’un repas bien mérité jusqu’au lendemain, ce soir les vendangeurs se délectent d’un pain de thon. Agathe semble s’être endurcie et déclare : « Hier, c’était tellement dur que je me suis dit never , plus jamais, au secours. Mais aujourd’hui, ça va mieux ».
Demain, quatrième jour, ils seront réveillés au son d’un violon ou d’une autre farce des filles Beaufort. Et quand le cochelet viendra, chacun reprendra son chemin pour un an au moins ; soulagé mais nostalgique, des courbatures dans le corps et des souvenirs plein la tête.
Un millésime en devenir
