Urville. Du 27 Août au 3 Septembre, la maison de champagne  Daniel Billette a vécu au rythme pétillant de la récolte de raisins.   Des premiers coups de sécateur au chien de vendanges,   voici les coulisses d’une semaine effervescente  portée par un millésime 2025 « de qualité ».
Mercredi 27 Août. Il est à peine plus de 7h. Le café est apprécié, les bottes enfilées, et les derniers contrats tout juste signés. L’atmosphère est encore calme, mais l’effervescence des vendanges est latente, presque à retardement à la maison de champagne, Daniel Billette. Leur précocité aurait même de quoi redoubler leur excitation, même si la récolte du raisin en août n’est pas exceptionnelle depuis 2003 ( « Là, ça avait surpris tout le monde » ). « Les vendanges de bonne heure, c’est plus compliqué pour beaucoup de choses. On a des gens dans l’équipe qui peuvent avoir du mal à prendre leurs congés pour venir. Pour réussir à se faire livrer. J’ai dû commander les draps supplémentaires rapidement sur internet » , pointe Sabine Jobert-Billette, directrice générale, qui, la veille, a accueilli la plupart des vendangeurs venus essentiellement de l’extérieur.
Une dizaine d’hectares à récolter
7H30 : tous se réunissent autour du pressoir pour le petit mot de bienvenue, agrémenté d’un rappel des consignes et de la réglementation. « Pour ceux qui viennent en voiture, faites attention, le jus de raisin sur la route, ça fait glisser. Pour le reste, le matin, vous montez dans les camions pour aller aux vignes. Vous serez deux par rang. Vous avez une pause le matin de quinze-vingt minutes. À midi, vous venez manger avec vos chaussures propres… » , détaille Didier Jobert, salarié cadre, avant la distribution des accessoires indispensables aux coupeurs : seaux et vendangettes. Direction : les Égrillés.
« On n’est pas bien là pour travailler, avec cette belle vue » , s’exclame Didier Jobert. De parts et d’autres des coteaux, camionnettes et enjambeurs des différentes maisons se détachent sur l’horizon verdoyant. À cette période de l’année, le village à la centaine d’habitants « multiplie facilement par cinq » sa population. « Nous, on est déjà quarante. » La plupart du personnel est dispatchée dans les rangs de vignes où des caisses à vendanges grises et roses ont déjà été déposées, prêtes à recueillir les premiers raisins 2025. « C’est parti » pour huit jours de récolte sur une dizaine d’hectares, essentiellement du pinot noir (plus de 5 ha), puis du chardonnay et du pinot meunier.
« Ce ne sont pas les vacances, mais presque »
Aux gestes répétés, connus et maîtrisés, « on voit les habitués » . Parmi eux, Jennifer, Haut-Marnaise fidèle depuis treize ans. « J’avais vu un message sur les réseaux pour le palissage. Ils m’ont prise, formée. Je suis revenue pour les vendanges, maintenant, je fais le liage, le palissage, et les vendanges. J’aime bien le travail dans la vigne. En plus, tout est pris en charge. S’il faut venir nous chercher, ils viennent. On est nourri, et c’est fait maison. Rien à redire », sourit l’employée saisonnière en déchargeant son seau et celui de son fils, Andy. « Il y avait de la place libre, je me suis dit que j’allais venir. J’aime le raisin, c’est une paie en plus » , avance simplement ce boucher de formation qui n’a pas hésité à prendre des jours de repos pour faire les vendanges.
Il n’est d’ailleurs pas le seul. Au volant du tracteur, Lionel, vosgien, responsable de blanchisserie hospitalier, fait les vendanges, depuis 1991. « Ici, ce ne sont pas les vacances, mais presque. Je décompresse du boulot, je coupe avec les infos, les mails. C’est presque devenu une famille : Sabine est la marraine de mon gamin, souligne le conducteur de tracteur. Et il y a toujours une bonne ambiance. » Qu’importe l’équipe renouvelée, la « convivialité » est toujours recherchée par les confirmés ou débutants. « C’est plaisant, les gens s’entendent bien », sourit Andy.
« Tant qu’il ne pleut pas, ça devrait être agréable , pointe Didier Jobert. Même si c’est un peu mal barré » , soupire-t-il face à des prévisions météorologiques qui ne seront « malheureusement » pas démenties. « Un coup, il faisait chaud, un coup, il pleuvait. Mais bon, on prend l’habitude » , avance Jennifer, sans se plaindre. « Disons que le temps ajoute un peu de piment » , lance Dorian, venu de Normandie pour ses premières vendanges. « Souvent, le problème, c’est pour les engins, il faut faire attention de ne pas partir en glissade », soulève Didier Jobert. « Quand on est arrivé sur un plateau, aucun enjambeur ne s’était risqué à monter , appuie Lionel, c’était trop dangereux. Avec les chenillards, on a pu monter » , et alimenter le pressoir.
« On fait l’appellation »
En moyenne, celui de 2019 tourne trois fois, et celui de 1957 une fois par jour. « On est satisfait. Ça coupe bien. La qualité est là, surtout les chardonnays. On a parfois un peu moins de raisins, les vignes qui ont gelé l’an dernier ont souffert. Mais il y a vraiment la qualité. Il y a le degré. L’acidité se tient. Ce sont de belles vendanges », sourit Didier Jobert en dressant un premier bilan positif qu’il renouvellera mercredi 3 septembre, lors de l’incontournable chien de vendanges. « On fait l’appellation, 9 000 kg de l’hectare. » Rien de comparable par rapport à la récolte 2024 « à oublier » .
« On a fait 3 000 l’an passé, à cause du mildiou et du gel. Et en 2023, année formidable, 18 000 de moyenne. Mais bon, quand on est entre 9-10 et 12 000 par an, c’est très bien ! » , estime-t-il, en levant sa coupe de champagne. Seule ombre au tableau : des problèmes mécaniques. « On a un tracteur qui était hors-service dimanche. On a mis le plateau et la grue sur un autre tracteur. Et il a pris feu mardi. Ils ont vite réagi, éteint le feu, et retiré les affaires. C’est embêtant mais ce n’est que matériel. On n’a eu aucun blessé. C’est l’essentiel , fait valoir Didier Jobert. Lionel, tu viendras refaire quelques vendanges pour remplacer le tracteur », lance-t-il avec amusement. Plaisanterie ou non, le rendez-vous était déjà pris pour 2026.

60 000 bouteilles par an  

Telle est la production annuelle moyenne de la maison de champagne Daniel Billette distribuée à l’échelle nationale. « On était déjà monté à plus de 100 000 bouteilles. On a freiné, surtout avec le problème du recrutement du personnel sérieux. Il vaut mieux vendre moins mais bien » , est persuadée Sabine Jobert-Billette.

Depuis 2018-2019, « on a aussi développé la vente aux négoces (Moët et Chandon et Drappier). Et on a bien fait, depuis le Covid, les ventes ont diminué. Nous, on ne perd pas de clients, privés (restaurateurs, un petit peu de bars) et particuliers, avec notamment les dépôts (une quarantaine) qui fonctionnent bien. Par contre ça consomme moins. Et ce sont les jeunes qu’on n’arrive pas à avoir » , note Didier Jobert. « Ça se voit pendant les vendanges , illustre Gautier Billette, directeur général associé. Il y a quinze ans en arrière, les jeunes, à la fin de la journée, buvaient le champagne. Maintenant, ils ont fini de manger, partent aux dortoirs, et boivent leur consommation. » « On va essayer d’attirer un peu plus les jeunes, de cibler les caves à vin, révèle Sabine Billette-Jobert. Ça fait partie de nos démarches. ».

Quand les vendangeurs manquent à l’appel  

Le problème devient persistant : la pénurie de main-d’oeuvre pendant la période de vendanges. « Ça devient compliqué, constate Sabine Jobert-Billette. On rappelle l’équipe de l’année d’avant, ceux qui ont fait le palissage, on met des messages sur les réseaux. Parfois, ce sont les anciens qui ramènent des collègues. ».
« On demande 18 coupeurs, j’en ai pris 24 »
Et malgré tout, « ce n’est toujours pas facile d’avoir le bon nombre. On demande 18 coupeurs, j’en ai pris 24. » Les défections ne sont pas impossibles, souvent attendues. « Le 15 juillet, l’équipe était faite. Puis on a en eu cinq qui finalement ne voulaient plus venir. On en a retrouvé cinq. Là, il nous manque une étudiante qui ne s’est pas présentée », note-t-elle au premier jour des vendanges. « Ils ne se donnent pas forcément la peine de prévenir. »
Aux contrats jamais signés, il faut ajouter les contrats interrompus de ceux tentés d’abandonner avant la fin. Au bout de trois jours de vendanges, l’un des coupeurs a, par exemple, décidé d’arrêter parce qu’il « n’avait plus la motivation. » « Il faut savoir faire avec. On n’est pas du tout les seuls dans ce cas-là, relève-t-elle, le regard tourné sur son téléphone, et un groupe de messagerie de viticulteurs. Plusieurs étaient encore à la recherche de personnel. Et avec les vendanges précoces, ceux qui prennent des congés n’étaient pas certains de venir tout de suite. Pour autant, encore 10 ans en arrière, on avait toujours du monde. On avait des étudiants aussi. On ne les voit plus, la rentrée est plus tôt, et les jeunes du coin travaillent à Nigloland. Nous, on n’a plus énormément d’appels. » Quand bien même « on nourrit et on loge ».
Peu de locaux…
Il faut dire que dans l’équipe, il y a trop peu de locaux pour se permettre de faire l’impasse sur les dortoirs : « On en a qui viennent de la Haute-Marne, des Vosges, de Normandie, de l’Isère, de la Savoie, ou de l’étranger. » Pas le choix non plus que d’investir. Depuis 2019, à proximité du pressoir Coquard de 1957, a été installé un nouveau pressoir de 4 000 kg. « Au lieu d’être trois-quatre au Coquard, ils ne sont plus que deux. On a gagné, mais ça fait cher (100 000 euros d’investissement) pour huit jours dans l’année, pointe Didier Jobert. On préfère mettre du personnel, mais on ne trouve plus. »